Discours du MINPOSTEL-Conférence des Gouverneurs 2017

Monsieur le Ministre de l’Administration territoriale et de la Décentralisation ;
Mesdames et Messieurs les Membres du Gouvernement ;
Messieurs les Gouverneurs de Région ;
Mesdames et Messieurs ;
Je suis profondément honorée de l’invitation

qui m’a été adressée par le Ministre de l’Administration Territoriale et de la Décentralisation, pour présenter dans le cadre de cette importante rencontre semestrielle des Gouverneurs, le défi que représente aujourd’hui, pour les Etats souverains, la protection de leur cyberespace.

Le développement des Technologies de l'Information et de la Communication (TIC) constitue le fait majeur de ce siècle. En effet, depuis l’invention de l’ordinateur dans les années 1930, les technologies numériques n’ont cessé de se développer.
La révolution numérique, marquée par la convergence entre l'informatique et les télécommunications a pleinement bouleversé les modèles économiques traditionnels des entreprises, le fonctionnement de nos sociétés, et nos modes de vie. Dans une ascension  fulgurante, le numérique a pénétré notre intimité au point que nous n’imaginons pas nous passer d’outils pourtant tout à fait récents.
Ce développement fulgurant du numérique met les Etats face au défi de la protection de leur souveraineté dans ce grand espace virtuel sans frontière qu’est le cyberespace.
Le cyberespace peut être défini comme un ensemble de données numérisées constituant un univers d'information et un milieu de communication lié à l'interconnexion mondiale des ordinateurs. Il est donc  l’espace numérique rassemblant les internautes de la planète et l’ensemble des données accessibles grâce au réseau Internet. Le cyberespace est constitué :
de services tels que les sites web, les applications numériques (Google, Apple Store, PlayStore…), les  réseaux sociaux (Facebook, Twitter, WhatsApp…), la messagerie électronique et autres services en ligne (e-commerce, mobile money, télémédecine, banque en ligne, etc.) ;
des infrastructures : points d’atterrissement de câbles sous-marins, IXP, stations VSAT, réseaux à fibre optique, antennes relais ;
des terminaux : ordinateurs, tablettes, téléphones portables, télévision, serveurs.
Notre présentation, qui porte sur LA PROTECTION DE L’ESPACE NATIONAL DANS LE DOMAINE DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION, sera développée en cinq principaux axes qui sont : les enjeux liés au développement des TIC, les menaces contre le cyberespace national, les défis à relever par l’Etat, les actions entreprises par le Gouvernement pour protéger le cyberespace national, ainsi que les perspectives en matière de lutte contre la cybercriminalité.

LES ENJEUX LIÉS AU DEVELOPPEMENT DES TIC
Les TIC peuvent se définir comme l’ensemble des technologies informatiques utilisées pour traiter, modifier ou échanger des informations et plus spécifiquement des données numérisées.
Selon les statistiques 2016 de l’Union Internationale des Télécommunications (UIT), 7,5 milliards d’individus à travers le monde sont abonnés à la téléphonie mobile, dont 772 millions en Afrique ; 3,5 milliards sont connectés à l’Internet, dont 240 millions en Afrique et  enfin,  3,7 milliards de personnes sont abonnées au Mobile Large Bande à travers le monde, dont 280 millions en Afrique.
En effet, grâce aux Technologies de l’Information et de la Communication (TIC), les performances dans tous les secteurs de l’activité humaine sont démultipliées : éducation, communication, administration, agriculture, industrie, police, commerce, médecine, banques et autres services.
A titre d’exemples :
Sur le plan de l’éducation, les TIC favorisent l’accès et l’acquisition des connaissances par tous ;
Sur le plan de la santé,  le mur entre le médecin et le patient disparait grâce à la télémédecine ;
Les systèmes de transport et de paiement sont facilités  avec le paiement en ligne, les réservations, l’enregistrement et l’acquisition de titres de transport  en ligne ;
Sur le plan de l’administration, grâce à la dématérialisation des procédures et aux systèmes d’information en ligne, l’usager du service public bénéficie d’un accès rapide  à l’information et reçoit un meilleur traitement.

C’est ainsi que dans une interview au journal panafricain les Afriques le 21 octobre 2010, le Chef de l’Etat Son Excellence Paul Biya le confirmait, je cite : « nous qualifions les TIC d’accélérateur du développement. Car très tôt, nous avons pris conscience de leur caractère révolutionnaire, en ce sens qu’elles permettent de démultiplier les performances dans tous les secteurs de l’activité humaine : éducation, communication, administration, agriculture, industrie, police, commerce, médecine, banques et autres services, etc » avant de poursuivre je cite : « les TIC constituent pour nos pays en développement un champ extraordinaire d’opportunités d’emplois en matière de développement de logiciels ou de télétraitement… » fin de citation.
La vision du Chef de l’Etat sur les TIC et l’économie numérique est donc évidente. Ce secteur constitue la clé de voûte de notre révolution économique pour l’émergence du Cameroun.
Toutefois, l’usage généralisé des TIC dans notre vie quotidienne n’est pas sans danger. Chaque évolution est porteuse d’opportunités mais aussi de risques, que ce soit pour les individus, les organisations publiques et privées ou l’Etat et la société.

LES MENACES CONTRE LE CYBERESPACE NATIONAL
Internet permet de communiquer avec potentiellement tout le monde et donc n’importe qui. Il est difficile, voir impossible de vérifier qui se cache derrière un écran ou une identité virtuelle
Profitant de cet anonymat, les esprits malveillants utilisent l’Internet et les réseaux sociaux à des fins de propagande, d’escroquerie ou de terrorisme. Des centaines de millions de cyber attaques sont lancées chaque jour pour voler des données stratégiques des entreprises ou des données personnelles ; des secrets d’Etats sont piratés et publiés à travers les réseaux sociaux.
Les menaces auxquelles peuvent être exposés les internautes sont multiples :
A l’échelle nationale
Une étude de l’ANTIC fait état de :
près de 4 milliards FCFA de pertes dues au scamming (escroquerie financière sur Internet) ;
près de 3,7 milliards FCFA de pertes dues au skimming (fraude à la carte bancaire) ;
plus de 200 cas d’usurpation de profiles Facebook et de cyberchantage ;
plusieurs centaines de millions de FCFA de pertes dues à des intrusions dans les systèmes d’information de certaines compagnies ;
plusieurs milliards FCFA de pertes dues à la fraude à la Simbox (boitier électronique utilisé pour se faire facturer le trafic téléphonique international aux prix du tarif national en redirigeant et manipulant le trafic international sur Internet ;
28 attaques "Web defacement" détectées sur les sites des administrations publiques depuis 2013 (il s’agit de modifications non autorisées de la page d’accueil d’un site web) ;
12800 vulnérabilités détectées sur les sites web des Administrations publiques depuis 2013 ;
des millions de HOAX (fausses informations diffusées en masse sur Internet, notamment par lesréseaux sociaux) ;
des milliers de cas de spoofing ou usurpation d’identité ;
d’innombrables malware (programmes informatiques malveillants, virus, vers, etc.).
A tout ceci, il convient d’ajouter que 51% du volume de trafic Internet national est lié aux téléchargements illicites.

2. A l’échelle internationale
D’autres menaces importantes existent sur le plan international et qui peuvent survenir au Cameroun. Nous pouvons citer, à titre d’exemple :
les Botnets : réseaux d’ordinateurs infectés sur Internet, contrôlés par un hacker ;
les Web profond : sites web non référencés sur Internet servant à des trafics illégaux (vente de drogues, d’armes, cyberterrorisme, etc) ;
les Ransom wares : programmes malveillants qui bloquent l’ordinateur et demandent une rançon à la victime afin de procéder au déblocage.
Depuis les attentats du 11 septembre 2001, les organisations terroristes ont considérablement perfectionné leurs stratégies. De plus, les assauts cyberterroristes peuvent également émaner d’États.
 
En effet, dans le cadre des cyberguerres vécues de nos jours, des Etats attaquent les systèmes d’informations d’autres Etats dans le but de les paralyser. Le piratage des moyens de télécommunication, des infrastructures sensibles comme les aéroports, les gares et les métros, est devenu monnaie courante. Le cyberterrorisme est une menace réelle.

Au vu de toutes ces dérives, il est évident que les défis à relever par les Etats en matière de cubersécurité sont nombreux.

LES DÉFIS A RELEVER PAR LES ÉTATS

Le principal défi actuel auquel sont confrontés les États souverains est celui de conquérir la souveraineté de leur cyberespace national, longtemps resté libre et sans frontière.

Les Etats souverains sont menacés dans leur fondement par tous les dangers cités plus haut, notamment par les réseaux sociaux à travers la propagande terroriste, la diffusion de fausses informations avec comme corolaire la déstabilisation ou la destruction, par des cyberattaques de grande ampleur visant leurs infrastructures critiques.

L’autre défi est de protéger les intérêts des Etats, de la Société et des individus tout en garantissant les libertés individuelles

Parmi les principales actions engagées par les Etats pour protéger leur « souveraineté numérique » et assurer une bonne gouvernance de l’internet,  on peut citer, sans être exhaustif :

l’adoption des lois et réglementations appropriées, notamment :
les lois relatives à la cybersécurité et à la cybercriminalité ;
les lois antiterroristes intégrant la réglementation de l’Internet ;
les lois relatives à la protection des données personnelles (affaire Wikileaks).
 
la délimitation, le contrôle et la surveillance du cyber espace national. A titre d’exemple, lorsque vous arrivez à l’aéroport de Paris et que vous voulez vous connecter à votre compte e-mail, vous recevez un message qui vous informe que vous êtes arrivé dans le cyberespace français et que vous devez fournir des informations d’identification.

Au niveau international, la tendance est à une gouvernance collaborative de l’Internet. Elle se fait à travers l’Icann (Internet Corporation for Assigned Names and Numbers), une organisation privée qui assure l'administration des noms de domaines des adresses internet comme le ".fr", le ".com" ou le ".cm".
L’Icann assure par ailleurs la gestion logistique du réseau au niveau mondial.


ACTIONS ENGAGEES AU  CAMEROUN
Depuis l’avènement de l’Internet au Cameroun vers les années 1990 avec CAMTEL, et la délivrance des premières concessions de téléphonie mobile dans les années 2000, les citoyens vivent les bienfaits et les méfaits du cyberespace.
La recrudescence des actes cybercriminels et cyberterroristes a amené l’Etat à engager d’importantes mesures stratégiques.
 
Sur le plan réglementaire, on peut citer l’adoption de trois (3) lois importantes visant à réglementer, à contrôler et à sanctionner les dérives liées à l’usage du cyberespace national. Il s’agit de la loi n° 2010/012 régissant la cybersécurité et la cybercriminalité, la loi n° 2010/013 régissant les Communications électroniques au Cameroun et la loi n° 2010/021 régissant le Commerce électronique au Cameroun, ainsi que de leurs textes d’application.

 Sur le plan institutionnel, la création de l’Agence Nationale des Technologies de l’Information et de la Communication (ANTIC),  bras opérationnel de l’Etat dans la régulation des TIC et la lutte contre la cybercriminalité.
L’ANTIC dispose en son sein d’un Centre d’alerte et de réponse aux incidents cybernétiques (en abrégé le CIRT), dont la mission est d'assurer la veille sécuritaire sur le cyberespace national en collaboration avec d’autres Etats.
A ces deux mesures, il convient d’ajouter l’élaboration d’une stratégie gouvernementale de développement de l’économie numérique, dont l’un des piliers est la gouvernance numérique. Celle-ci vise à promouvoir la confiance numérique à travers le renforcement de la lutte contre la cybercriminalité.
De manière spécifique, les principales actions ci-après ont été menées:
La mise en place de deux laboratoires de cybersécurité à la Direction de la Police Judiciaire de la Délégation Générale à la Sûreté Nationale et à l’Ecole Nationale Supérieure Polytechnique, chargés de l’investigation numérique.
La mise en place des réseaux de surveillance et de vidéosurveillance du cyberespace camerounais au sein des Administrations compétentes chargées de la sécurité publique.
Une campagne d’identification des abonnés des réseaux téléphoniques commencée en 2016, qui sera renforcée dans les prochains mois, par la mise en place d’une plate-forme numérique d’identification des abonnés et de monitoring du trafic des communications électroniques. Grâce à cette plate-forme, le Gouvernement disposera d’un outil lui permettant de maitriser l’identité de tous les utilisateurs des réseaux téléphoniques et ainsi, de lutter efficacement contre la cybercriminalité.

Un audit de la qualité du service offert par les opérateurs de téléphonie mobile visant entre autres à s’assurer de la fiabilité de leurs équipements tout en proposant des mesures correctives ;
La veille sécuritaire avec, notamment, le monitoring en temps réel des infrastructures sensibles, l’émission de bulletins et d’alertes de sécurité, l’élaboration des référentiels de sécurité, etc ;
L’audit des systèmes d’information des Administrations publiques.
La sensibilisation et la formation de tous aux bonnes pratiques sécuritaires.
Ces actions, faut-il le souligner, sont en cohérence avec les politiques similaires, déjà engagées par les autres administrations compétentes
Malgré ces avancées considérables, il est important de renforcer et de consolider l'ensemble de ces mesures en termes de perspectives.
V- PERSPECTIVES
Pour asseoir définitivement la souveraineté numérique de notre pays, il est nécessaire de poursuivre :
la sensibilisation de la population sur la cybersécurité ;
la formation et le renforcement des capacités des différents acteurs de l’Etat y compris les autorités administratives, les Forces de maintien de l’ordre, les autorités judiciaires;
l’identification des infrastructures critiques (PKI) et la surveillance de tous les opérateurs d’importance vitale ;
le renforcement du Cyber Incidence Response Team (CIRT) de l’ANTIC, afin de disposer d’une structure efficace en matière de réponse d’urgence aux incidents de sécurité de l’information ;
le développement des contenus locaux et de l’usage du « .cm » ;
la mise à niveau du cadre légal et réglementaire (protection des  données personnelles, mesures coercitives, etc.) ;
la mise en place d’une plateforme gérée par l’ANTIC,  permettant la sécurisation du cyberespace national ;
le renforcement de la coopération internationale dans le cadre de la lutte contre la cybercriminalité ;
l’élaboration d’une stratégie nationale de cybersécurité et de cyberdéfense, avec des axes spécifiques sur la protection des données personnelles, et la protection des  enfants, des jeunes et des plus faibles dans le cyberespace.
 
CONCLUSION
L’économie numérique, compte tenu de ce qu’elle est catalyseur d’innovation et de compétitivité, s’est imposée ces dernières années comme un important levier de développement économique. A titre d’illustration, d’après un récent rapport de la Banque Mondiale, une augmentation du taux d’accès large bande de 10% entraînerait une augmentation du PIB de près de 2%.
Au Cameroun, les TIC constituent une opportunité extraordinaire de création d’emplois pour les jeunes. Ceux-ci sont un véritable potentiel pour le développement de l’Economie numérique. Nous avons pour preuve les différents concours internationaux remportés par nos jeunes : Arthur ZANG (inventeur du Cardiopad), Olivier Guillaume Madiba (Créateur de Kiroo Game le premier jeu vidéo africain), Njie Clinton (gagnant du Google code 2016), et bien d’autres.
C’est pour cela que dans son adresse du 10 février 2016, le Chef de l’Etat, S.E. M. Paul BIYA, disait, je cite :
«  pour notre jeunesse, l’un des défis majeur est l’arrimage à ce phénomène marquant qu’est l’économie numérique… » avant d’inviter suite de la citation : « toute la nation à se mobiliser résolument pour accompagner les nombreuses initiatives de nos jeunes dans ce domaine » fin de citation.
Malheureusement, le développement de l’économie numérique est menacé par la cybercriminalité qui exploite la virtualité du cyberespace, propice à la compromission de la confiance.
Pour un développement réussi de l’économie numérique, il est primordial que les effets pervers qui découlent de la propension de ce secteur vital soient maitrisés.
Il apparaît donc important, voire impératif dans une démarche de synergie avec tous les acteurs compétents, de renforcer la sécurité de notre cyberespace pour tirer le meilleur parti des nombreux avantages qu’offre l’économie numérique.
L’action du Gouvernement en matière de lutte contre la cybercriminalité vise à cet effet à limiter l’intensité et l’ampleur des dégâts induits, à se prémunir contre les menaces potentielles par des mesures de protection et de prévention appropriées et à pouvoir réagir aux incidents au travers  de mesures permettant d’assurer la gestion de la crise, la continuité ou la reprise des activités, ou encore des poursuites pénales si nécessaire.
Il s’agit pour notre pays de renforcer sa cybersécurité, afin non seulement d’impulser son développement économique, mais aussi de consolider la paix. Pour ce faire, une politique cohérente  impliquant tous les acteurs concernés est indispensable.
Et c’est pour moi le lieu d’inviter les Gouverneurs de Région et toutes les autorités administratives à une plus grande collaboration dans la sensibilisation des populations en vue de l’adoption de bonnes pratiques sécuritaires en matière des TIC. Il est important d’asseoir une véritable culture de la cybersécurité en promouvant un comportement citoyen responsable et raisonnable vis-à-vis des TIC pour espérer en tirer le meilleur profit.    
Je vous remercie de votre aimable attention.